Après la présentation il y a un an, de son très critiqué « guide du bon usage des réseaux sociaux » qui, grosso modo, interdisait à tout salarié de France Télévisions de publier ses opinions politiques, syndicales, sur les réseaux sociaux, sur son compte personnel, voilà que la Direction introduit désormais dans son règlement intérieur le principe de neutralité.
Ça commence à faire beaucoup.
Ainsi, l’article 4 du projet de règlement intérieur de FTV, pose, pour la première fois, ex-nihilo, le principe de neutralité. Les termes sont trop génériques et flous pour que des esprits mal tournés comme les nôtres n’y voient qu’une simple maladresse. Jugez-en par vous-même.
La Direction s’appuie sur cette possibilité donnée par l’article L1321-2-1 du Code du travail : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Il n’est possible d’introduire cette clause qu’aux conditions suivantes :
- Elle doit s’appliquer à tous les salariés, quelle que soit leur religion et ne peut être poursuivie par un employeur que de façon générale et indifférenciée,
- Elle est uniquement applicable aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
- Elle doit être justifiée par un “objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse, pourvu que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires”.
Et c’est là que le tour de passe-passe, très casse-gueule selon nous, intervient. La direction de FTV considère ainsi que pour garantir les missions de service public et d’information qui lui ont été assignées « Honnêteté, transparence, indépendance et pluralisme », le principe de neutralité s’impose.
Quel rapport entre pluralisme, honnêteté et neutralité ? Aucun.
Le journaliste ne se définit pas, par exemple, par sa neutralité mais par son activité. En France, c’est même par la dominante dans ses revenus de ses activités journalistiques (50% minimum) qu’il obtient la carte de presse. La Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de Munich (1971) précise : « Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. » Elle ne dit jamais qu’il faille donner à chaque fait la même importance, il y a des choix. Éditorialiser c’est choisir. Aucun choix n’est neutre.
Ainsi une question / une critique étayée et factuelle d’un programme électoral par un journaliste lors d’un débat (sur les législatives tiens) peut être perçue comme partisane par l’interviewé. L’est-elle ? Est-elle pour autant neutre ? Quid des chroniqueurs ? Des représentants syndicaux qui sont, par définition, non neutres sur leur lieu de travail comme en dehors ?
En ces temps troubles et incertains, faits de vérités relatives et d’attaques contre les valeurs démocratiques, peut-on, doit-on d’ailleurs, rester neutres ?
La mission du service public n’est-elle pas, au contraire, de défendre la chose publique menacée ? La République et les valeurs qu’elle suppose : politiques et philosophiques ?
Qu’est-ce qu’au juste la « neutralité philosophique » évoquée par le règlement intérieur ? Être cartésien, keynésien, démocrate, humaniste, est-ce sanctionnable ? Pour rappel : toute mesure stipulée dans le règlement intérieur s’impose, et expose donc le salarié à une sanction en cas de non-respect. La loi encadre la liberté d’expression et punit déjà sévèrement tout propos racistes, haineux, ou diffamatoires. Pourquoi aller au-delà ?
La CFDT FTV dénonce ce principe de neutralité. S’il n’est pas imposé à tous également, il n’est pas valable légalement. S’il l’est au contraire, il neutralise l’essence même du journalisme et du syndicalisme, l’esprit critique.
Honnêteté, transparence oui. Neutralité non.