Le projet, annoncé au moment même où le financement de l’audiovisuel public fait l’objet de bien des incertitudes, ne pouvait guère tomber plus mal… tant il ajoute d’inquiétude aux très nombreux doutes auxquels les salariés du siège sont déjà en proie… Sens du timing très discutable… Pour une présentation pourtant baptisée Tempo, et qui n’acte rien de moins, dans le périmètre de l’information nationale, que la disparition, après plus de 30 ans de bons et loyaux services, et en seulement quatorze mois, de l’ensemble des éditions nationales de France 3.
Nous ne voulons pas discuter ici des risques industriels que comporte cette décision : il appartiendra, sur ce point, aux téléspectateurs aujourd’hui nombreux de ces éditions emblématiques de nous signifier par leur nombre comme par leurs commentaires, si ce changement les convainc ou pas. Et à chacun d’en tirer des conclusions le moment venu, si le projet est conduit jusqu’à son terme…
Nous ne polémiquerons pas non plus sur la nouvelle architecture éditoriale que la direction met sur la table car il manque pour ce faire une présentation sérieuse. Ce matin, la direction, en refusant de nous présenter des interlocuteurs de la rédaction nationale et du réseau France 3, choisit délibérément de nous maintenir dans l’ignorance… Au moment même où le directeur de l’information tient salon 2 étages plus bas pour présenter le projet ! Drôle de contournement des instances représentatives du personnel… Le symbole est détestable et inacceptable. Convenons pour l’heure que les considérations qui ont été dévoilées sur l’articulation du local et du national restent à l’état gazeux, tant elles sont entourées de déclarations contradictoires, notamment sur le rôle que pourrait y jouer France Info.
Alors parlons seulement, avec toute la gravité que le moment exige, du seul paramètre que nous tenons pour acquis : la fin du 12/13 et du 19/20 est plus qu’un big bang éditorial. La mesure pourrait devenir, sans un engagement fort et rapide pris par la direction, un séisme social majeur, pour les journalistes comme pour les techniciens, les PTA, qui œuvrent à la réussite de ces rendez-vous quotidiens, et dont l’avenir devient donc incertain.
Si la direction de l’information, fragilisée il y a quelques jours seulement par un vote de défiance, comme la présidence de l’entreprise, affirment que ce nouveau projet ne vise ni à réduire l’offre d’information nationale, ni les effectifs de l’entreprise, la plupart des salariés concernés s’interrogent à voix haute sur le crédit à accorder à toutes ces promesses.
Comment pourrait-il en être autrement ? A la rédaction nationale, hors du périmètre très spécifique de France Info, les 5 années qui viennent de s’écouler ont été marquées par une saignée sans précédent dans les effectifs de la rédaction. Non remplacement des anciens, pertes de CDD, puis non remplacement d’une part toujours plus grande des arrêts maladies, détachements plus nombreux et non compensés… au bout du compte, certains des services fusionnés de France 2 et de France 3 ont perdu en un temps record près du tiers, parfois même près de la moitié, de leurs effectifs de départ, sans que la charge de travail qui pesait initialement sur leurs épaules n’ait été revue à la baisse.
S’agissait-il déjà, en organisant chaque jour un peu plus la pénurie des moyens humains, de mieux nous convaincre qu’à terme, la seule solution viable pour retrouver des conditions de travail dignes serait d’accepter la fin du 12/13 et du 19/20 ? Fallait-il délibérément nous faire endurer cette foule de petits supplices quotidiens pour nous en faire accepter l’objectif ultime ? Sur le plan humain comme sur le plan éditorial, ces 5 années d’austérité budgétaire ont été un immense gâchis, un moment d’épuisement collectif aussi inutile qu’absurde.
Faute de bras, ces 5 années ont aussi marqué la perte, pour le management comme pour les journalistes des JT, d’une culture du temps long qui faisait auparavant la force de notre offre éditoriale : avec des délais de fabrication sans cesse raccourcis et des effectifs à la peine, plus question de passer trop de temps en calage, en reportage, ou même en montage… Les frustrations se sont accumulées, à mesure que le ressenti sur la qualité du rendu final diminuait.
La direction a-t-elle pris le pouls, le “tempo” cardiaque, d’une rédaction au bord de l’épuisement ? Toujours est-il qu’avec ce projet, ceux-là mêmes par qui la course quotidienne s’est accélérée nous proposent, au bout du compte, de renouer avec le temps long.
Pour s’assurer que la direction a bien pris la mesure de l’état de sa rédaction nationale, et que Tempo n’est pas au contraire un nouveau prétexte pour augmenter la cadence, passer d’un “tempo presto” à un “prestissimo”… il faudra que la promesse de ne pas enlever d’effectifs supplémentaires, ou de ne pas pousser les salariés vers des mobilités forcées, se traduisent rapidement en actes.
Nous n’avons pour l’heure que de belles paroles et attendons avec vigilance des garanties.