Certains journalistes, parmi lesquels des anciens au profil aguerri et aux états de service irréprochables, se sont vu innocemment proposer il y a quelques semaines par leur chef de service, au détour de leur entretien annuel, un stage de remise à niveau. N’y ayant pas vu malice, une partie d’entre eux ont accepté l’offre qui leur était proposée sans trop réfléchir… Deux semaines de formation intensive pour leur permettre de muscler leur jeu, et pourquoi pas imaginer « retrouver les faveurs de la reine des éditions »… Le 20h…
D’autres ont été moins chanceux et ont appris de façon bien plus abrupte et désobligeante leur inscription d’office à ce programme de rééducation éditoriale… censé les remettre d’aplomb.
Pour tous ceux qui, depuis, ont participé à ces stages pensés spécialement pour eux, le retour d’expérience est amer : la plupart décrivent des apprentissages mi classe verte, mi tuto en mode « le journalisme télé pour les nuls ». Jugez plutôt : pour chacun, une redécouverte express des bases de l’interview télévisée, ou du reportage à réaliser dans des délais contraints, deux disciplines que certains pratiquent pourtant depuis plus de 25 ans… Si l’objectif était de les aider à reprendre pied ou à se sentir valorisés, on peut convenir que c’est plus que raté…
Dès lors, si le véritable objectif d’une telle formation n’était pas que les salariés accompagnés en viennent réellement à reprendre confiance dans leurs capacités, alors quel est donc le but véritable de toute cette opération ? Revenons-en aux arguments le plus souvent présentés à ces journalistes pour les convaincre de sauter le pas, c’est peut-être un indice, allez savoir ? Pouvoir faire, ou refaire des sujets pour le 20h. Et si l’objectif recherché n’était pas tout simplement cela ? Faire admettre à ces journalistes, avant toute chose, que s’ils ne font pas de 20h, c’est qu’ils ne sont pas au niveau ?
S’ils ne font pas de 20h, alors qu’ils font des 13h, des 12/13, des 19/20, ce n’est pas, mais alors pas du tout, parce que le 20h aurait la fâcheuse habitude de faire son petit casting… Qui pourrait d’ailleurs croire une chose pareille ? Croire par exemple que pour une poignée de premiers rôles distribués chaque soir, une armée de journalistes en seraient réduits à faire de la figuration aux heures de grande écoute… Ça ne tient évidemment pas debout ! Non, jamais aucun salarié, jamais aucune organisation syndicale n’a eu à faire un si douloureux constat ou à formuler de reproches aussi éhontés par le passé… Balivernes !
Qu’on se le dise donc une bonne fois pour toutes, si le 20h se passe des talents de certains, c’est seulement parce qu’ils en manquent… Ils en ont suffisamment, certes, pour fournir des sujets aux autres éditions, mais pas assez pour assumer la quintessence du travail rédactionnel que représenterait cette grand-messe quotidienne. Bref, si le 20h ne sait pas travailler avec tout le monde, c’est parce qu’il y a des nazes, des moins bons, à qui on ne peut rien confier de sérieux. Mais qu’on peut fort heureusement remettre dans le droit chemin, même s’il est évident que ça prendra du temps…
Cette méthode est extrêmement contestable. Car elle revient à inverser la charge de la preuve. Alors même qu’il est largement admis par la plupart des organisations syndicales autour de cette table que certaines éditions fonctionnent sur la base d’un casting trop restreint, et même excessivement restreint si on compare leur fonctionnement à celui d’autres éditions, ce qui est une discrimination caractérisée, voilà que l’on travaille à justifier a posteriori certaines mises à l’écart en objectivant à l’occasion de stages la moindre performance de ceux qu’on laisse au placard… Bref, que ceux qui seraient tentés de discriminer et peinent parfois à se justifier dorment sur leurs deux oreilles… D’autres travaillent à leur fournir de nouveaux arguments.
Voilà bien toute la limite de cette étrange bienveillance en trompe l’œil qui entérine ce qu’elle prétend combattre… En prétendant vouloir aider certains reprendre pied sur certaines éditions, on valide officieusement l’agenda des éditions qui ne travaillent pas de façon inclusive… Non, il n’y a pas de discrimination… Juste un niveau supérieur d’exigence. Il fallait y penser. Et qu’importe, au fond, que ceux qui se sentent marginalisés par ces éditions se sentent encore plus stigmatisés lorsqu’on leur demande d’aller pointer à des stages de remise à niveau. On peut très bien se passer d’eux, vu qu’on le fait déjà… Du cynisme à l’état pur.
Désormais ce ne sera donc plus aux éditions de répondre de leur autoritarisme ou de leurs préjugés à l’encontre de ceux qu’elles mettront à l’écart ! Non, les fautifs seront ceux que l’on écarte, qui devraient avoir honte de ne pas être au niveau…
Face à ce qu’elle juge comme une dérive grave, la CFDT demande à ce que la formule de ces stages soit revue sans délai. S’il est toujours nécessaire et judicieux de renforcer la formation continue des journalistes, nous rappelons qu’il existe à cet effet une cellule de valorisation qui satisfait pleinement à ces objectifs, en offrant des débouchés positifs aux demandes formulées conjointement par les journalistes et leur encadrement. Enfin, la CFDT rappelle que la meilleure façon d’assurer la progression et l’adaptation de salariés aux cahiers des charges de chacune des éditions est de leur donner des sujets, pas de les tenir à l’écart. Se familiariser avec les attentes d’une édition sans être en mesure d’y contribuer est aussi absurde qu’inefficace.