Il y a une dizaine d’années seulement… France télévisions avait fait sien un slogan publicitaire qui s’affichait en lettres d’or du côté des ascenseurs de l’entrée du siège… « De près, on se comprend mieux ! » Une devise pleine d’audace qui résumait à l’époque l’ambition éditoriale et l’utilité sociale de France 3… Mais dont l’écho allait bien au-delà, car il affirmait une ligne de conduite que chaque salarié de cette maison s’appliquait à faire sienne dans son rapport aux autres, administratifs, journalistes, techniciens… Se rendre utile, travailler main dans la main…
Dix ans plus tard, dix ans seulement, une éternité… la formule n’est plus inscrite nulle part… Et chacun reconnaîtra qu’elle n’a plus vraiment force d’évidence non plus tant ces liens qui nous unissent se sont distendus dans toute l’entreprise. Le contexte sanitaire et le télétravail ont peut-être joué… mais les réponses que notre direction choisit de mettre en œuvre amplifient considérablement ce phénomène de fragmentation, en amplifiant les inégalités de traitement que peuvent ressentir de nombreux salariés.
Télétravail à géométrie variable…
D’abord, un déploiement particulièrement dissymétrique et au final inéquitable du télétravail. Appliqué d’office à 100%, pour la plupart des administratifs de la maison, mais refusé d’emblée, tout aussi unilatéralement, pour la plupart des salariés attachés à la fabrication, journalistes comme techniciens. Des pans entiers de l’entreprise ont basculé en 100% distanciel, pendant que d’autres sont restés contre tout attente en 100% présentiel, sans qu’aucun salarié ou presque ait, dans un premier temps, pu exprimer ses propres préférences, son ressenti, ni même n’ai pu donner son avis sur les mesures qu’il lui semblait le plus efficace et le plus prudent d’ adopter, en tenant compte à la fois des risques liés à l’épidémie, mais aussi de tous les autres risques psycho-sociaux auquel un redéploiement unilatéral pouvait une nouvelle fois l’exposer.
Nous ne reprocherons pas à la direction d’être maximaliste pour certains… Mais nous l’interpellons sur le minimalisme des mesures qu’elle déploie pour les autres, tous ceux qu’elle choisit de maintenir en présentiel. Par ailleurs, l’urgence d’une situation sanitaire ne justifie pas, ici comme partout ailleurs, que des mesures imaginées en petit comité s’appliquent unilatéralement, à la seule main de l’employeur, et sans concertation avec les salariés qu’elles concerneront comme avec leurs représentants.
D’un côté donc, une nouvelle fois, le home office, subi « d’office », pas toujours vivable, ni toujours bien vécu… De l’autre, un présentiel full time imposé sans nuance ni discernement, et sans réel aménagement d’envergure proposé par l’employeur pour mieux tenir compte de la situation épidémique.
Pas question par exemple, de considérer que des reporters attachés aux journaux télévisés puissent eux aussi, lorsqu’ils calent des sujets, s’acquitter de tâches administratives : réaliser des interviews en visio, ou monter leurs reportages et travailler depuis chez eux. Unilatéralement, la première réponse des chefs de service du périmètre de l’info a été « business as usual », alors même qu’aucune difficulté technique ne faisait obstacle à la réalisation de certaines tâches depuis chez soi ! Injuste et absurde.
Pas question, malgré la propagation de variants extrêmement contagieux, de faire bénéficier l’ensemble des salariés en présentiel de masques plus performants comme ceux de norme FFP2. Et pas question non plus de modifier en profondeur les règles applicables en matière de transports, en prenant en charge le taxi ou en changeant les horaires de prise de service pour épargner aux collaborateurs d’emprunter les transports en commun à l’heure où ils sont le plus bondés…
Et malgré la vacance prolongée de la majeure partie des bureaux environnants de la maison commune, aucun aménagement transitoire de salles ou de bureaux individuels permettant d’espacer un peu plus les journalistes, qui continuent de s’entasser à touche-touche dans leurs open space… Pas même lorsque ceux-ci s’avèrent être cas contacts ! C’est ainsi qu’au beau milieu du mois de décembre un collègue du service société, après avoir été déclaré cas contact suite à un montage, a pu être incité à retourner travailler au même bureau, à touche touche avec ses collègues… Et même à partir en reportage en voiture… Quelques heures plus tard, ledit rédacteur est testé positif, et allez savoir pourquoi le JRI qui l’accompagnait également… Nous entendons d’avance l’objection de la direction : oui mais peut-on prouver qu’ils se sont contaminés sur le lieu de travail… Et vous, pouvez-vous, toute honte bue, décemment nous démontrer qu’il n’en est rien… Il est temps sur ce point d’inverser la charge de la preuve…
La « responsabilité de chacun » plutôt que les garanties collectives
A ceux qui auraient l’outrecuidance de l’accuser de négligence, la direction de l’information a souhaité répondre par une pirouette, ou par une diversion, c’est selon en mettant en avant la responsabilité individuelle… Plutôt que de mettre en œuvre des mesures fortes pour réduire l’exposition des salariés qu’elle maintient en présentiel, elle rappelle l’obligation de garder le masque bien vissé entre le nez et le menton jusqu’à 10 heures par jour, et ajoute à ses recommandations autour du 20 décembre une interdiction d’organiser des pots de fin d’année… Ou de trop s’approcher d’un collègue à table en mission, après un trajet commun en voiture qui en revanche ne pose aucun problème ! C’est bien connu : Omicron et Delta choisissent toujours le bon moment pour frapper… Toujours les moments de repas et les parenthèses de convivialité… les fameux moments de relâchement… Lorsqu’ils travaillent dur, deux salariés à touche touche n’ont rien à craindre… La Covid, qu’on se le dise, est une maladie bien élevée qui sait récompenser le sens de l’effort et rendre grâce à l’abnégation de chacun !
L’austérité, quoi qu’il (vous) en coûte !
Dans la période que nous vivons, beaucoup jugent comme une marque de mépris et de négligence ce manque de mesures de protection supplémentaires en direction des salariés appelés à rester en présentiel. S’y ajoute depuis quelques semaines un autre problème auquel elle ne semble pas vouloir apporter de réponse : dans tous les services, le nombre de cas contacts, cas avérés, ou parents confrontés à des fermetures de classe s’envole. Dans le service JRI par exemple, où l’on dénombrait ce matin une quinzaine de défections liées à l’ensemble de ces motifs…
Dans de nombreux services de l’entreprise, les taux d’absence dépassent déjà les 10% et peuvent même atteindre les 20%… Sans qu’à ce stade, aucun renfort ou remplacement qui permette de remédier aux sous-effectifs n’ait été planifié. La semaine dernière, Laurent Guimier a qui nous posions la question répondait suivre l’évolution des cas de très près et se voulait rassurant. La côte d’alerte, disait-il, n’est pas atteinte. Nous n’avons à l’évidence pas le même curseur ! Partout, après deux années d’épreuve, l’anémie des effectifs ne s’explique pas tant par l’épidémie mais bien par l’entêtement d’une direction à maintenir coûte que coûte, même au prix d’une nouvelle dégradation considérable de nos conditions de travail, sa ligne d’austérité budgétaire et de réduction des effectifs.
Sortir du déni est une urgence vitale pour chacun d’entre nous : à l’heure de Delta et d’Omicron, Francetélévisions doit changer d’alpha et d’oméga.